Rendez-vous parmi les images

Écrit par Laura Grignoli

Conference de Laura Grignoli à Colmar (Alsace)

Bonsoir à tout le monde…

C’est un grand honneur et j'éprouve une très grande émotion en me trouvant dans ce milieu d'art, entourée des œuvres d'artistes si enclins à s' interroger et à jouer avec l'imaginaire, tels queles surréalistes et les Dadas.

L'exploration de l'inconscient pousse les artistes, mais aussi les patients qui s'approchent à l'art-thérapie, à retirer leur rationalité, à faire des assemblages dissociés, à créer des compositions absurdes, à tenter de transférer visuellement la pensée.

L'usage d'objets presque banals enchâssé en scénographies à la limite du concevable et des visions oniriques, acquirent de la tangibilité avec des symboles et des signes qui troublent et inquiètent ceux qui regardent.

Rien, par exemple, n’est plus loin de l' irrationnel comme l 'inconscient rationnel de Magritte …

On reconnaît dans les œuvres la présence des souvenirs dans le travail de la mémoire, telle dissimulation rétroactive - rétroactivement anticipatrice - dirait Pontalis.

La peinture que nous avons observé dans l'exposition, celle surréaliste, ne nie pas la réalité mais la transfigure…Ainsi comme dans le rêve nous transfigurons la réalité pour mettre davantage en évidence les émotions réelles.

Mais quel relation y a-t-il entre l'art admiré dans l'expo qu'on a visité et l'art-thérapie? de quelle façon peut-on rapporter l'art surréaliste et la production des patients qui fréquentent les ateliers d'art-thérapie?

On pourrait répondre synthétiquement que l'art nous montre les choses physiques qui rendent visibles celles invisibles. Dévoiler l’invisible correspond à en cueillir le sens.

De l' expérience clinique

Je suis parvenue à l'art thérapie que pour des coïncidences bizarres de la vie, qui ont croisées le métier de psychologue et psychothérapeute à celui d'artiste. Et voilà mes expériences d’art thérapeute.

Je n'aurais pu aboutir à nul autre travail. Je trouve souvent vide, insatisfaisante, peu attrayante la connaissance autour ou sur quelque chose: connaître (cum- naître ) personnellement les personnesc’est autre chose.

À l'intérieur de la partie de dialogue non verbal qui se déroule dans un milieu d’art thérapeutiqueavec les enfants, on peut penser plutôt à une Phrase Action Tactile qui est unrécit sans mots et, au même temps, une possible nouvelle co-construction du texte inscrit dans les corps du couple thérapeutique.

Je crois que cette disposition, normalement instinctive pour l'art thérapeute, doit être cultivée, aiguisée, rendue consciente. Avec quelques exemples, j’aimerais raconter mon expérience : les moments où je rencontre un enfant/un patient et me laisse toucher de sonesthétique, de la manière de se présenter, et ensuite de celle qu’il manifeste pendant qu'il crée. L'enfant, en dessinant spontanément ce qui lui vient en esprit, il commence à relierdes représentations de mots à des représentations de choses.

Quand il réussit à illustrer ses propres verbalisations, à travers le dessin, je peux entrer en communication avec lui, symétriquement, en dessinant à mon tour des réponses et des réactions à ses images. Nos dessins deviennent spéculaires mais aussi progressifs, dans le sens que je copie des éléments graphiques de ses dessins, en les déplaçant, en les unissant, en les comprimant avec d’autreséléments graphiques à lui, en suivant mes associations visuelles spontanées et en utilisant, moi en premier, le processus primaire au niveau des choses représentées dans les dessins.

Le patient réussit à entrer dans cette forme communicative et, en reportant le processus primaire des représentations de mots aux représentations de choses, il revient à utiliser le langage verbal avec les modalités du processus secondaire.

Cela est arrivé, dans tous les cas abordés, après peu de mois, quand au cours du dialogue par images le patient réussissait à construire des représentations graphiques de transition entre Soi et le thérapeute, en leursconfiant l'expression des émotions et des affections transférentielles soit libidinales soit destructives, d'une intensité considérablement supérieure à celle que la parole permettait à ce moment-là.

Quand j’ai remarqué, pour la première fois, que la disparition du trouble de la communication verbale procédait de façon parallèleà la construction graduelle, dans les dessins, d'une représentation du Soi que le patient utilisait pour interagir, du point de vue affectif, avec le thérapeute, j’ai avancé les hypothèses que le trouble de la communication verbale, dans les patients avec qui je travaillais, devait être mis en rapportavec l'absence d'une représentation libidinal du Soi, idée réconfortée par les études du psychanalyste Gaetano Benedetti et deson entourage.

Les figures qui se créent dans les dessins sont extraites de l'inconscient des deux partenaires, où se sédimentent des sujets composés de parties du thérapeute et de parties du patient. Ces sujets transitionnels, exprimés graphiquement par le patient, représentent soit le Soi du patient que celui du thérapeute et ils déroulent la double fonction de transmettre au Soi des affects transférentiels et contre transférentiels, positifs ou négatifs, et de protéger en même temps le Soi du patient de l'action déstructurant et désorganisant des émotions.

Ce que j’expérimente comme continuelle valeur d'expérience en tant qu' art thérapeute ( artiste aussi) pendant une séance, c'est la possibilité d'habiter un champ esthétique. Un champ qui est intersubjectif et multidimensionnel pour profondeur et ampleur, même pour sommets différents de lecture possible, mais qui, par rapport à ceux-là, s'appuie à une modalité, une dimension qui n'est pas narrative,ni le dérivé narratif de pictogrammes provoqués par l'écoute, mais plutôt ça consiste à habiter la dimension du pictogramme, il se place donc avant le Narratif ou Imaginatif, ou mieux il le reçoit et le soutient puisque à travers l’utilisation(plutôt s’agit de sa jouissance) de matériaux, il crée et recrée l'inconscient là où il a son origine: dans la dimension perceptrice, sensoriel, gestuelle et rythmique, émotive pour démarrerde ce point là vers la possibilité de rêver et depenser.

C'est un champ plutôt délicat à habiter parce que, en contact direct avec l'ineffable, il nous présente toutes les difficultés d’expérimenter esthétiquement : à partirde celles de rester présents à son propreressenti, à celle deretenir ce qui, comme dans un rêve, nous a atteint à travers l'appréciation esthétique, jusqu'à la prise de conscience des différents niveaux de cette dimension.

L'esthétique chez les patients

Au départl'art-thérapeute a à disposition son coté d'artiste à mettre en jeu ; ça je l'ai appris surtout en tant que thérapeute d'enfants. J'ai aussi traité quelques affections d'autisme. Cesont des patients qui font de l'objet un usage - ou un non usage - spécial, s'ils en trouvent un bien disposé: ils l'obligent à passer des obstacles et ‘extase’ de l'esthétique primaire avec eux et souvent à leur place, parce que leur développement est bloqué à un niveau archaïque et ce sont eux-mêmes à se présenter en des formes qui activent la nécessité de répondre, de se résoudre.

C’est dans la relation avec ces patients qu'on voit comme à travers une loupe la fonction réfléchie et/ou transformative du médium dans une dimension de conscience perceptrice.

Andrea avait 6 ans, grands yeux et odeur de talc.

Ce premier jour, pendant que nous allions vers la pièce d'art thérapie il tenait les yeux bas, il ne me regardait pas. Il marchait tout doucement. À chaque pas il s'arrêtait et il passait la pointe du pied droit sur celle du pied gauche comme pour l'épousseter, il laissait pour un instant ma main et "papillonnait" en tenant les bras maigres avec les coudes à l'angle aigu, étroits sur le thorax.

Pendant les premières séances le contact avec A. fut de fatigue absolue psycho-physique: la décision de l'observer pendant qu’il se mêlait spontanément à travers les matériaux en devenant fou en tourbillons de poussière pyrique pour son absence de limitation et aussi pour mon incapacité à le laisser faire et àtolérer, utiliser et remédier (pour moi non plus) ce que je percevais en tant que qualités négatives, mais qui étaient mélangées d’une esthétique primaire.

Cependant je pensais que faire quelque chose, que j' entendais plus comme un agir que comme une action possible, ça n'aurait pas été utile, au contraire j’ aurais pu au mieux gaspiller quelques possibilités.

Vers la fin de l'heure, épuisé, il m'approcha, il se fit vitre et moi chiffon en l'accueillant: nous pouvions jouir ainsi d’une trêve comparable à celle de l'après colique d'un nouveau-né, mais tout de suite il a fallu affronter la séparation. J’était arrivée au bout de l'heure bouleversée et un peu folle , prise de la hâte et de la nécessité de le congédier pour pouvoir ranger, même si consciente de la nécessité de ne pas le faire et qu'il fallait trouver une autre manière. Il s’accrochait en hurlant frénétique avec sa bizarre voix discordante de "ne pas jeter" et quand je le détachais à la force, j'avais les vertiges.

Au cours de la séance successive j’ai cherché à créer des mélangesd'une consistance qui cherchait l'impalpabilité des couleurs en poussière, cependant inadéquats à utiliser en séance avec un enfant si délicat parce que toxiques.

La rencontre avec l'objet pour ce type de patient qui n'est pas équipé pour juger l'expérience esthétique, ne devient jamais inaugurale et ne donne pas vie à un Objet Esthétique entendu comme négociation avec une mère Médium de l'expérience d'être vifs et en relation. Il donne vie à des récipients rigides ( les soi-disant coques autistiques) qui semblent avoir la fonction de protéger d'un écoulement du Contenu/Moi qui visent à l'existence. Donc le thérapeute travaille sur la nécessité de devenir un Médium possible qui se réalise à travers l'offre de matériauxet sur l'ajustement continu entre récipient et contenu, c'est-à-dire sur l'ajustement d'une Forme en devenir et du Modèle qui peut la soutenir.

Il faut connaître sa propre esthétique pour aller vers le patient …

En tant qu' art-thérapeute et formatrice j’encourage à trouver les matériaux de manières les plus différentes… les magasins d'articles pour Beaux Arts sont les moins fréquentés sauf pour des produits fondamentaux. Il y a pleins les tiroirs de médiums merveilleux, ou encore chez les grossistes pour bâtiment, dans les centres pour bricoleur, dans les marchés et, évidemment, en nature.

L'art thérapie offre une possibilité qui est à l'art: le champ esthétique est un flux / écoulement continu entre le choix et l’usage(la jouissance) de matériaux artistiques, de ce qu'on ne peut pas encore connaître jusqu'à devenir un objet intersubjectif co-engendré des deux sujets présents dans la pièce à travers la négociation entre l'idiome du thérapeute et celui du patient.

L'objet sera une forme à observer et ca aidera lethérapeute et lepatient à lui donner signification à travers des associations et dessouvenirs. Et le langage des matériaux choisis, à travers sa composition, ses rythmes, sera mémoire aussi de processus.

Observer l'objet, une fois créé, aidera aussi à comprendre et différencier, en termes psycho-dynamiques, les forces du champ et les différentes fonctions de l'objet, aussi bien qu’ àapprécier les différentes modalités expérientielles à travers lesquelles le moment présent de la séance active et raconte anciennes situations, vient exprimé dansune forme.

Dévoiler l'invisibilité équivaut à encueillir le sens.

L'art n'est pas un geste d'habilitétechnique mais transmission de pensée et d’émotion à travers un niveau esthétique. Les choses physiques deviennent l'intermédiaire de l'invisible. L'univers s'épanouit à nos yeux et l'impossible et l'inexplicable, la vision absurde onirique, apparaît avec la plus désarmante naturalité du mystère, du surréel.

Mais à qui le devoir de gérer en art-thérapie telle vision surréelle? Et comment ceci est-il possible ?

Il y a une capacité humaine, qui appartient à tout le monde, qui devient une passion existentielle dans l'art-thérapeute. Cette capacité donne lieu à des phénomènes, dont la description équivaut à découvrir de différents niveaux et modes d'identification avec le patient.

Un de ceux-ci est la symétrie dans les inconscients. Le porté du phénomène s'étend au-delà du rapport avec l'individu psychotique, à savoirle malade pas capable d'altérité; en réalité nous le trouvons à la base de toutes les psychothérapies dialogiques.

Aucun patient, quiordinairement tâche de cacher sa souffrance au monde, serait capable de s'ouvrir à un thérapeute, s'il ne ressentait pas inconsciemment la rencontre thérapeutique comme unmoment où l’autre se pose à son même niveau.

L'art-thérapeute presque toujours envoie silencieusement à son patient le message de sa propre disposition intérieure à être avec lui sur son niveau d'existence; il ouvre, à travers les images de tout les deux , une communication transformative existentielle.

Ceci implique que nous autres, art-thérapeutes, en nous efforçant de comprendre l'autre, soit intuitivement soit en le mettant dans nos modèles rationnels, nous créons nos symboles à partirdes symboles pathologiques du patient.

Lui, il a souvent son monde symbolique deformé; la manière dans laquelle nous comprenons sa distorsion n'est jamais celle vécu du patient, mais c'est un symbole de son symbole.

Nos modèles de maladie mentale, de souffrance psychique, de schizophrénie ou de névrose sont nombreux, jamais totalement vérifiables, jamais unifiables, jamais définitifs, parce qu’ ils sont nos symboles des symboles pathologiques des patients.

Tout cela ne veut pas dire seulement comprendre, mais il faut apprendre le langage du patient, le faire sien , luiretransmettre ses mots, être avec lui.

Cela comporte aussique nousrépétons en partie, en nous-mêmes, le drame de l'autre, que nousl'internalisons; et plus exactement, nous le répétons dans un cadre de conscience différente, ouverte à certaines manières d'expérimenter qui sont resserrées ou fermées chez le patient; c’est pourquoi ce qu'en lui est dissocié, muet et irresponsable, devient en nous conscience, mot, douleur.

Tout ceci renvoie au processus d'identification partielle, ànous trouver avec lui et en lui avec une partie de notre personne, en recevant son monde dans cette "moitié" de notre personne.

L'inconscient en art-thérapie psycho-analytique existentiel-phénoménologique, qui est le domaine de définition auquel nous d'Artelieu, nous adhérons, peut être défini de tellefaçon:

- C’ est un lieu psychique, qui garde la douleur du patient.

- C’est un lieu psychique qui cache aussi les résultats d'une privation existentielle sans en avoir conscience;

- C’est un lieu psychique où réside une potentialité évolutive exclue de la possibilité de la développer et dela vérifier avec la conscience.

- L'inconscient est le lieu où il va prendre une forme et où il devient médium de communication à travers des phénomènes parmi lesquels l'art qui naît dans la relation thérapeutique.

Le cadre art-thérapeutique se représente comme la rencontre des deux inconscients, celui du patient et celui de l'art-thérapeute.

Quotidiennement nous remarquons les effets de ce rapport entre lesinconscients: il y a des art-thérapeutes qui affirment de "jouir' le patient et d’ autres qui, par contre, en ressentent la présence et le "poids" dans des accompagnements psychosomatiques, à la fin de la séance.

Le thérapeute avisé, sait réserver au patient une partie de sa propre personne et à soi-même l'autre moitié, sans tomber dans la symbiose.

La moitié libre de l'art-thérapeute tire vigueur de celle 'pathique' parce que, en contact avec elle, il en reste au dehors, et de telle façon il est capable d'opérer les transformations profondes, nécessaires soit auniveau de l'objet soit au niveaudu sujet - et que nous pouvons décrire en les rangeant sur les trois grandes dimensions temporales du passé, du présent et de l'avenir.

A- Dimension du passé. Nous aidons le patient à transformer son passé - précisément ce queapparemment est définitif - en luimontrant son profil, son poids, son sens, sa valeur à travers l'œuvre qu'il exécute et en l'aidant à mieuxcomprendre les nœuds de son existence .

Aux yeux du patient son passé devient, à travers la lecture interprétative partagée, ce qu'il était avant d'entrer dans sa maladie; le passé lui réapparaît comme abordable, il se présente comme il aurait pu être avant de rester écrasé par son poids.

Dans toutes les méthodes interprétatives profondes et en n'importe quelle forme de psychothérapie, "l'œuvre de transformation commune" est présente, c'est toujours un travail sur le passé pathologique partagé dans sa dualisation (de lui).

B- La dimension du présent ne se réalise passeulement dans le fait que l’interprétation du passé arrive toujours dans un présent thérapeutique, mais aussi dans la "présentation" et "actualisation", c’est-à-dire danscette répétition spéciale du passé, presque toujours douloureuse, qu'on observe soit dans les rêve-dessins du patient soit en beaucoup de formes de transfert, où le souffrant ne sait pas distinguer entre passé et présent.

C- La transformation du malaise dans la perspective de l'avenir. La perspective de l'avenir est introduite par le psychothérapeute dans un monde appauvri qui semble connaître beaucoup de la souffrance passée et bien peu de son franchissement futur.

La transformation thérapeutique est tournée vers l'avenir en plusieursmanières: par exemple à travers l'examen de ce que le travail artistique, produit par le patient, nous enseigne sur la façon selon laquelle il doit affronter son avenir.

Tandis que dans la psychanalyse nous montrons au patient névrotique, surtout par l'analyse du transfert et celle de ses rêves, en quel endroit - de son passé ou présent- il se trouve, en art-thérapie psycho-analytique des psychoses c’est nous qui nous nous plaçons dans cet endroit significatif de son monde.

Le patient ne réagit pas toujoursde manière disponible à la lecture interprétative avec un acte de compréhension cognitive, mais plutôt avec une peinture ou une création d'argile; comme Tommaso qui dessine un rayon de soleil qui du toit pénètre toute la maison et il le nourrit. Le patient n'était pas encore capable d'insight (il n’a pas perspicacité), cependant son travail montrait qu’ il l'avait déjà assimilée.

L'assimilation de cette réalité commence sur un noyau d'identité, le long d'une dimension de dualité, et à la fincomme image et pas encore comme idée. Au fur et à mesure qu’au cours du processus thérapeutique cela se rend possible au patient, des qualités de l'objet entrent dans le Soi; le Soi se

forme "via de se poser", pour un processus où des idées délirantes incluent la personne du thérapeute ; alors celles-ci apportent au patient certains éléments de réalités autrement impossibles.

Puisque le contact avec la réalité sociale arrive encore le long de la dimension hallucinatoire ou délirante, il est toujours psycho-pathologique; mais vue quele thérapeute, impliqué dans la nouvelle expérience du patient, ne réduit pas ou traduit le "proto-symbole" psychotique en idées, mais il l'accueille comme symbole significatif, alors, dans le monde a-symbolique du patient se vérifie la création duale du symbole.

La dualité est visible du point de vue de la créativité: la psychopathologie progressive est création commune du patient et du thérapeute.

L'art-thérapie psycho-analytique et existentielle des psychoses se base sur ces fondements:

1. La confusion du patient est un manque de symbolisation.

L'image psychotique vient ressenti et lu de la part du thérapeute comme symbole et elle devient, à travers sa réponse imaginative, le proto-symbole du patient.

2. modification du concept psychanalytique d'abstinence

Quoiqu'elle reste valable la renonce à toute intervention d'origine narcissique, elle s'ouvre à la possibilité de l'action, et de techniques d'art thérapie psychanalytique comme par exemple le dessin sur le tableau transparent à deux directions, le dialogue musical, la dramatisation corporelle, qui prévoient l'insertion du réel dans la relation dialogique.

3. le transfert

Nous savons que dans la psychose, l' insight n'est pas toujours possible à cause de la compromission psychotique des pouvoirs cognitifs et ausside la violence hallucinatoire de certaines expériences transférentielles. La résolution du transfert comporte ici, de manière plus ou moins symbolique mais aussi comme interaction réel affectif, la réparation des violences mêmehallucinatoires de certaines expériences transférentielles.

Nous savons que quand le patient psychotique parle, le thérapeute peut utiliser ses propres associations libres et son processus primaire thérapeutique, pour interagir avec les choses et les affectionsdissociées du patient et réparer le processus primaire fragmenté.

Eh bien, quand le patient n'est pas atteignable avec le mot, l'art-thérapie propose des formes d'expression non verbales: les images.

Soit à travers le dessin soit à travers la musique soit avec la communication corporelle, le principe thérapeutique est semblable à la voie du mot: utilisation(jouissance) du processus primaire thérapeutique et sublimation de la pulsion sexuelle pour réunir, dans le transfert et contretransfert, les fragments et les affectionsdissociées de l'inconscient du patient.

Les images deviennent thérapeutique et transformatrices dans la mesure oùle thérapeute est capable de s'identifier avec les catastrophes intérieures du patient et de les vivre comme si elles fussent les siennes à tel point queles noyaux psychotiques latents du thérapeute peuvent être mobilisés.

L'identification partielle du thérapeute avec la scission du patient est un des premiers processus de la psychothérapie des psychoses à travers l' art-thérapie.

Dans la phase initiale, quand l'expression verbale de la souffrance psychotique n'est pas encore possible, le processus commence sur un mouvement dans lequel l'art-thérapeute introjecte et accueilleen soi-même la déchirure psychosomatique du patient.

Si le copartage thérapeutique de la douleur psychotique fut complètement symétriques, le processus psychothérapeutique pourrait se bloquer et la rencontrese cristalliser dans une sorte de folie à deux.

(L') être art-thérapeute se fonde sur l'action réparatrice des noyaux fonctionnants de notre personnalité qui suture et repaire la dissociation induite par la rencontre avec le patient. Ce processus de réparation et d'intégration de la déchirure psychotique peut être exprimée à travers l'usage de matériaux graphiques, musicaux ou gestuels.

Le patient a une base perceptrice, acoustique, visuelle ou tactile, pour pouvoir s’identifier avec le thérapeute en retrouvant en lui, partiellement intégrée, sa propre scission.

Dans la dualité la souffrance peut être racontée malgré l'absence des mots ; la douleur a un sens qui, même s'il n'est pas encore plénitude de sens, peut devenir la direction d'un parcours transformatif.

Dans la communication verbal etnon verbal avec le patient psychotique nous distinguons trois dimensions:

- La dimension symbiotique qui se révèle en plusieursmanières: dans la "fantasmatisation thérapeutique" à travers laquelle le thérapeute transmet au patient d'avoirperçuson monde intérieur pas seulement avec le mot qui traduit en symboles les vécus du patient, pas seulement avec la main qui trace les mêmes lignes de lui, qu'il produit ses mêmes gestes et ses mêmes sons, mais aussi avec son inconscient qui s'identifie partiellement avec l'autre, grâce àla symétrie psychomotrice. Voilà que le patient ressent la disposition du thérapeute de se faire semblable à lui. Telle symbiose thérapeutique n'est pas dissociative comme celle pathologique dont le patient souffre, parce que le thérapeute se rapproche du patient comme "alter ego."

- La dimension de "positivisation": elle est visible au moment où le thérapeute, "en positivisant", rompt la symétrie avec le patient, il oppose une de sesimages à celle négative du patient, ne la niant pas, mais en la transformant.

Telle "asymétrie créatrice" a le sens d'ouvrir à la psychopathologie denouveaux débouchés fantasmatiques, de l'extraire de la fermeture autistique, de confirmer à l’intérieur dela dualité l'identité du patient, mais aussi de commencer la séparation thérapeutique, se percevoir comme des êtres différents dans l'identification. En effet l'intégration de symbiose et séparation est cedont a besoin le moi psychotique.

- La dimension de la réciprocité. Par exemple avec l'usage du tableau à deux directions, un tableau en plexiglas transparent que j’ai inventé un jour pour réussir à communiquer avec un enfant autistique, le thérapeute se représente comme miroir du patient. De telle manière le patient s' identifie en partieavec une personne cohérente qui « se dissocie » seulement pour se récupérer par entier à travers la récupération du patient.

Le patient psychotique est, contrairement au névrotique, incapable de symboliser. Son langage est pseudo-métaphorique, incapable de se rapporteraux idées; les choses sont desréalités, exprimées dans les proto-symboles schizophréniques.

Le proto-symbole peut être cependant un germe du symbole dans la transformation thérapeutique. Si nous réussissons à modifier le proto-symbole dans le discours verbal, graphique, artistique ou gestuel avec le patient, de manière que la nouvelle édition du proto-symbole soit une nouvelle image agrandie face à celle pathologique, amplifiée de manière qu’elle laisse de la place même pour nous à côté du patient, alors nous aurons fait une proposition art-thérapeutique.

Leproto-symbole manque dela partie rationnelle, celle qui permet de faire une distinction entre le symbolisant et le symbolisé. La transformation thérapeutique du proto-symbole en symbole arrive à travers l'acceptation, la compréhension et la valorisation de l'image prote-symbolique dans la dualité affective.

Il ne faut pas oublier que le "miroir thérapeutique" ne doit pas seulement « rendre positif », il doit aussi pouvoir refléter une agression du patient: le patient ne doit pas se sentir seulement comme un faible à protéger, mais comme un camarade même à défier.

Chaque interprétation est donc une rencontre.

Le danger que le patient soit manipulé par l'interprétation thérapeutique est dépassé par le fait que chaque interprétation n'est pas simplement le thérapeute qui la fait, mais "un sujet transitionnel" qui se représente dans l'inter subjectivité entre thérapeute et patient. Le thérapeute n'analyse pas le "matériau" du patient, parce que n'est pas son "objet", mais c'est la personne qui, avec son inconscient, fournit au thérapeute les interprétations appropriées.

Contrairement à la pensée rationnelle, qui naît de la continuellecomparaison entre la perception et la réflexion, le moi et le non-moi, l'hypothèse et l'essai, la pensée imaginaire puise aux couches profondes de l'affectivité et de l'inconscient; on connait des artistes qui, comme nos patients, nous disent de ne pas projeter leurs œuvres d'art, de ne pas savoir à priori où aboutira son œuvre d’art initiée.

Est-il possible de rationaliser tout ce que nous exprimons en tant que pensée imaginaire? En autres termes, est-ce que la pensée rationnelle est le plus haut sommet de l'esprit? Et, vice versa, est-ce que l'imaginaire est toujours une régression, un chiffre à déchiffrer, une activité mentale comme le rêve et l'enfance, c'est-à-dire les états archaïques de l'esprit? Il ne semble pas.

Jung nous dit que le "symbole exprime quelque chose en plus que ce que sa traduction rationnelle pourrait nous dire. Si l'âme enquêtele symbole, elle vient menée vers les représentations qui restent au-delà de la compréhension de la raison."

Le langage figuratif, quoiqu’il fonctionne surtout là où les canaux d'une suffisante communication verbale sont souvent inaccessibles, il est aussi valablepour tous les cas où les résistances sont trop rigides pour se lâcher à la production onirique.

Quelques avantages du langage pictural:

le premier est que la transaction d'ordre imaginaire permet l'accès aux malades lesquelsà cause deleur profonde insécurité se défendent du rapport verbal ou qui se sentent influencésdans leur pensée par ce rapport. L'image n’exprime pas seulement, mais ellevoile aussi de façon poétique, tandis que l'idée met à nu et parfois elle vientperçue comme un "bistouri psychologique". En outre le thérapeute qui, dans la communication régresse lui aussi à l'imaginaire et au symbolique, vientperçu par le patient comme une figure qui prend la place du véritable Soi et pas comme un observateur inconnu.

Le second avantage est que parfois le sujet à travers le langage pictographique est mis en mesuredepercevoir des parties de Soi qu’au niveau verbal sont éliminées par la conscience. Parfois le "canal" de l'inconscient à l'auto-conscience est ouvert pendant que celui de la pensée verbale est bloqué.

Le troisième avantage est que le langage pictographique où deux partenaires s'expriment successivement et en contemporaine, stimule davantage l'inconscient des deux interlocuteurs et (il) permet des expressions figuratives d'états d'âme symbolisables et pas dicible en abstrait. Le thérapeute fait une expérience symétrique à celle de son patient, lui aussi il perçoitdes perceptions de son propreSoi et de celui d'autrui qui lui sontrestées jusqu’alors cachées.

Enfinen art-thérapie il y a des cas, où la pensée figurative se développedans l'esprit du patient indépendamment de sa pensée rationnelle. Par exemple il décrit différemment sa situation aux mots et pour images. En face de cette dissociation, le patient nous dit avoir eu la sensation qu’ une main étrangère eût tracé l'image. Ce sont ces cas-là, où la pensée verbale est encore inhibée ou limité par certaines résistances, qu'elles viennent surmontéespar la pensée figurative, car les images qui résultent d’elle n'impliquent pas de réorganisation de son identité sociale dont le discours nécessite. Parfois une confrontation trop rapide peut induire le patient à se renfermer dans ses résistances, en refusant l'expression figurative.

Mais la méditation commune de l'image ouvre de plus en plus les canaux entre lafigure et laréflexion, jusqu'à ce que le patient découvre tout seul les liensimplicites à sa souffrance .

Mais si vous voulez, je peux vous présenter quelques œuvres exécutées dans les ateliers d'art-thérapie et vous remarquerez qu'il y a des choses qui ressemblent aux œuvres dada…et qui expriment le monde interne.

(Présentation de power point)

Conclusions

Nous croyons en ce que nous faisons, enun art découvert, dans les deux sens: sans couverture et comme découverte d'une chose inconnue. Nous croyons à une pratique expressive qui va dans une direction instinctive, où chacun avec les moyens (medium) à disposition, exprime des joies s’il en a ou des douleurs s’il les ressent ou absolument rien s’il n’y a rien qui ait du sens pour lui .

Il n'est pas dit que tous connaissent ou veuillent révéler leurs propres secrets. L’important c’est de regarder et d’entendre, en se (les) mettant dans un état d’espritpour comprendre que l'œuvre qu’on est en train de regarder ne doit pas nécessairement correspondre à une manière, de faire et d'être, mais elle est toujours quelque chose de personnel. Que ça nous plaiseou non. Et si nous ne comprenons rien … patience.

Nous considérons important de ne pas refuser ce qu'on ne comprend pas et d’apprendre à être tolérants verssoi-même et donner la possibilité au geste, au signe et aux idées de trouver leur voie.

Les parcours créatifs sont nombreux.... et pas toujours déchiffrables avec les outils insuffisants de la rationalité, les frétillements infinis de la fantaisie.

Quand on commence à peindre, à manipuler les matériaux, on voyage vers l'inconnu, le long duparcours l'image ou l'objet créé se transforme et devient reconnaissable, ou inconnaissable, et unique.

S'il semble qu'au niveau artistique tout a été déjà fait, il faut se rappeler que l'acte créateur est toujours unique. Même s'il n'étonne pas.

Il ne faut pas regarder l'œuvre produite comme si elle étaitun objet de tous les jours: cette manière de voir et de connaître est dueaux nécessités biologiques des instincts.

On peut voir les choses qui nous entourent sans exiger d'elles un profit.

L'œil alors stimule l'esprit et le cœur; l'imagination s'allume, l'esprit peut être conquis parla musique du cas et par desfrontières différentes.

Donner unevaleur au signe, à la tache et à l'erreur et avoir un sentiment constructiviste et pas de renonce, cela aide à définir la trace qu'on veut laisser ou détruire...

Merci.